Coups d’État, pandémie et guerre en Ukraine : quels impacts sur la gouvernance en Afrique  ?

Le 25 janvier dernier, la Fondation éponyme du tycoon soudano-britannique Mo Ibrahim révélait l’indice de la gouvernance africaine 2022 (IIAG). Le continent enregistre un recul démocratique, sur fond de défis sécuritaires, d’insécurité alimentaire et de crispations énergétiques. Les crises successives menacent dix ans de progrès en matière de gouvernance africaine.

« L’IIAG 2022 souligne que la gouvernance africaine a stagné depuis 2019. Si nous ne remédions pas rapidement à cette tendance inquiétante, les années de progrès dont nous avons été témoins pourraient être perdues, et l’Afrique ne sera pas en mesure d’atteindre en temps voulu les Objectifs de développement durable (des Nations unies) ou ceux de l’Agenda 2063 (de l’Union africaine). Notre continent est exposé de manière unique aux conséquences convergentes du changement climatique, plus récemment de la Covid-19, et maintenant de l’impact indirect de la guerre Russie-Ukraine », déclarait Nathalie Delapalme, directrice exécutive de la fondation Mo Ibrahim en conférence de presse, le 24 janvier dernier.

En substance, la gouvernance africaine s’est améliorée au cours de la décennie (2012-2021). Cependant, il n’y a eu aucun progrès notable en matière de gouvernance globale depuis 2019. Au Burkina Faso, en Eswatini, en Guinée, en Guinée Bissau, au Libéria, à Madagascar, en Namibie et au Rwanda, les progrès de gouvernance ont même été interrompus à partir de la pandémie de Covid-19. L’île Maurice campe la première place des pays africains dotés de la meilleure gouvernance selon l’IIAG, en dépit d’un faible recul l’an dernier (-2,2 points), devant les Seychelles, la Tunisie, le Cap-Vert et le Botswana. Le Soudan du Sud occupe le bas du classement devant la Somalie, l’Érythrée, la Somalie, la Guinée équatoriale et la République centrafricaine.

Des coups d’État qui impactent les progrès enregistrés

La progression de l’insécurité sur le continent qui concerne 70 % de la population africaine menace les progrès enregistrés sur la dernière décennie. Entre 2012 et 2022, il y a eu 29 coups d’État à travers le monde (tentés ou réussis), dont 23 en Afrique, en particulier dans la région du Sahel. En 2012, le président Amadou Toumani Touré dit « ATT », était évincé du pouvoir suite à un putsch militaire. En mai 2012, un contrecoup d’État échouait au Mali.

En août 2018, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) était réélu avant d’être finalement renversé en août 2020 à la suite d’un coup d’État militaire. En 2021, le président Bah NDaw est renversé à son tour et Assimi Goïta devient le Président du Mali par intérim. « L’intégrité des élections et le pluralisme politique ont reculé au Mali en dix ans -qui a connu- trois coups d’État et deux élections depuis 2012 », souligne le rapport Mo Ibrahim.

Au Burkina Faso aussi, la sécurité et la sûreté se sont singulièrement détériorées pendant la dernière décennie. Depuis le départ de Blaise Compaoré en 2014 (qui quitta le pouvoir à l’issue de soulèvements populaires), le pays des Hommes intègres a lui aussi, été traversé par plusieurs coups d’État. En 2015, un coup d’État est suivi d’un contre coup d’État. Fin 2015, ont Roch Marc Christian Kaboré devient le président du Faso. Réélu en novembre 2020, il sera renversé par Paul-Henri Sandaogo Damiba en 2022, lui-même évincé et remplacé par le capitaine Ibrahim Traoré quelques mois plus tard.

Depuis l’apparition de la pandémie de Covid-19 (2019-2022), le continent africain a été traversé par treize coups d’État, dont huit réussis. En Afrique de l’Est, les deux coups d’état survenus au Soudan ont alimenté l’instabilité politique et renforcé les tensions entre civils et militaires. « Cette situation d’attentats terroristes et de coups d’État par l’armée, compromet la paix, la sécurité et la stabilité de la sous-région », déclare Aïcha Bah Diallo, l’ancienne ministre de l’Éducation nationale de Guinée et membre du Comité du Prix MIF (Mo Ibrahim Foundation).

Quelle gouvernance après 20 ans de pouvoir ?

A ce jour, trois des cinq pays africains les moins bien notés en matière de responsabilité et de transparence sont dirigés par des Chefs d’Etat au pouvoir depuis plus de 20 ans. 
« Les pays qui ont destitué leurs dirigeants de longue date ont montré une amélioration en matière de transparence et de responsabilité, y compris l’Angola, la Gambie et Zimbabwe », indique le rapport de la fondation Mo Ibrahim 2022.

Le Zimbabwe a enregistré une progression de +5,7 points, suite au renversement du président Robert Mugabe (2017) qui avait passé près de 40 ans au pouvoir. L’Angola a progressé de +5,3, suite au départ de l’ancien président Eduardo dos Santos après 39 ans au pouvoir, et la Gambie de 5 points après le départ de Yahya Jammeh qui avait présidé le pays pendant 21 ans. La Guinée équatoriale dirigée par Teodoro Obiang Nguema Mbasogo depuis 44 ans, obtient le deuxième score le plus bas en termes de transparence et de responsabilité. Alors qu’elle bénéficie du 4e PIB africain le plus élevé par habitant, elle ne se classe que 4e en bas du classement, en matière de gouvernance globale, par l’IIAG 2022.

Enfin, l’indice de la gouvernance africaine 2022 (IIAG) indique que la pandémie de Covid-19 a accéléré les perturbations dans les pratiques démocratiques en Afrique, car elle fut maintes fois utilisée pour « justifier des violations de normes démocratiques tandis que les tendances antidémocratiques préexistantes se sont accélérées par l’introduction de mesures excessives ou en maintenant des dispositions d’urgence ».

Insécurité alimentaire et circonvolutions géopolitiques

Quelque 20,2 % de la population africaine était sous-alimentée en 2021, soit une augmentation de 3,8 % par rapport à 2017. Selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou sévère sur le continent s’élevait à 57,9 % en 2021, contre 44,4 % en 2014. L’année dernière, l’indicateur IIAG Sécurité alimentaire enregistrait son score le plus bas depuis 2012. La sécurité alimentaire a décliné dans 32 pays depuis 2012, et ce, à un rythme accéléré depuis 2017, dans une vingtaine de pays africains.

En dépit d’un tableau assez sombre, plusieurs indicateurs reflètent néanmoins des avancées significatives sur le continent. Ainsi, 43 pays africains sur 54 ont vu leur situation économique globalement s’améliorer depuis 10 ans. C’est notamment le cas pour les économies ivoirienne, angolaise, gambienne ou ghanéenne. Par ailleurs, la quasi-intégralité des pays africains a enregistré des progrès significatifs en matière d’accès à la santé et à l’éducation. Pour Nathalie Delapalme, directrice exécutive de la fondation Mo Ibrahim, « le renforcement de la gouvernance est indispensable » pour répondre aux défis exogènes liés au climat, à la pandémie de Covid-19 ou à la guerre en Ukraine, que rencontrent l’Afrique.

Marie-France Réveillard

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