
Loi interprétative de l’amnistie : l’Assemblée nationale sénégalaise relance le débat sur la justice et la réconciliation
Le mardi 2 avril 2025, l’Assemblée nationale du Sénégal a adopté une loi interprétative de la loi d’amnistie votée un an plus tôt, en mars 2024. Cette nouvelle disposition vise à clarifier les zones d’ombre de la première loi, qui portait sur les événements politiques et sociaux survenus entre 2021 et 2024. Mais loin d’apaiser les tensions, ce texte suscite vives réactions, débats juridiques, interrogations éthiques et critiques dans les rangs de la société civile.
Que dit cette loi interprétative ?
Cette loi a pour objectif de préciser l’application de la première loi d’amnistie, notamment en :
- Définissant plus clairement les faits visés par l’amnistie,
- Étendant la couverture juridique à des personnes encore sous le coup de poursuites,
- Protégeant également des agents de l’État impliqués dans les opérations de maintien de l’ordre.
Le gouvernement explique que ce texte vise à consolider la paix sociale et à tourner la page d’un cycle de violences politiques, notamment autour des manifestations liées à l’élection présidentielle et aux tensions ayant opposé le régime précédent à l’opposition.
Entre réconciliation politique et justice inachevée
Du côté du pouvoir, la loi est présentée comme un instrument de stabilisation nationale. Elle permettrait de dépasser les divisions passées pour ouvrir une nouvelle ère politique. Plusieurs anciens détenus politiques ont pu recouvrer la liberté, et les poursuites contre des figures de l’opposition ont été abandonnées.
Mais pour de nombreuses organisations de la société civile et certains partis d’opposition, cette loi efface sans juger, et abandonne les familles des victimes à leur douleur, sans vérité ni réparation. Les associations de défense des droits humains dénoncent une amnistie générale déguisée, qui pourrait créer un précédent dangereux d’impunité.
Des juristes partagés
Les avis au sein de la communauté juridique sont également divisés :
Certains soulignent que l’interprétation d’une loi votée démocratiquement est légitime et permet de sécuriser les procédures judiciaires,
D’autres alertent sur l’usage politique de l’outil législatif pour gommer des responsabilités graves, notamment en cas de morts ou de violations des droits humains.
Un débat qui reflète les fractures nationales
Cette adoption relance le débat sur les conditions d’une véritable réconciliation nationale. Peut-on tourner la page sans dire toute la vérité ? Faut-il privilégier la stabilité au détriment de la justice ? Quelle place pour les victimes dans ce processus politique ?
Autant de questions fondamentales qui restent posées, dans un pays qui cherche à guérir les blessures de ces dernières années sans reproduire les erreurs du passé.
Entre paix et mémoire, un équilibre délicat
La loi interprétative de l’amnistie marque une étape juridique et politique majeure dans le processus de transition engagé par le président Bassirou Diomaye Faye. Mais pour que cette réconciliation porte des fruits durables, elle devra être accompagnée de mécanismes de mémoire, de justice réparatrice et de dialogue sincère.
La paix se construit, elle ne s’impose pas. Et la mémoire des faits reste un pilier de toute démocratie solide.